La quête du savoir
Trois semaines s'étaient écoulées depuis la rencontre entre les élus et la
Grande Prêtresse d'Athéna. Un homme déambulait dans les méandres du Sanctuaire.
Posant la main sur de fines arabesques, parcourant d'un mouvement les
circonvolutions et les gravures légendaires, l'homme ne put retenir une
respiration proche du soupir. Les voûtes éternelles s'arquaient vers les cimes,
soutenues par les piliers de marbre et d'argent. Une douce sensation fraîche et
sereine envahissait l'âme dans ce lieu. Les pictogrammes d'êtres légendaires se
laissaient entrapercevoir, dans les longues et vastes coulées des colonnes.
Baigné par cette atmosphère, on pouvait penser que...
« Hum Hum jeune homme, que faites-vous là ? » Fronçant les sourcils d'un air
désapprobateur, un garde venait de faire son apparition dans le dos du jeune
homme.
Se retournant prestement, surpris et désorienté, l'homme ne sut quoi répondre.
Son interlocuteur le dévisageait avec un air sévère. Il pointa son doigt en
direction de la porte et se mit à tonner : « Vous êtes ici dans un lieu sacré,
veuillez regagner les jardins, immédiatement ! »
Fermant la bouche qu'il venait tout juste d'ouvrir, l'homme reprit sans un mot
la direction des vastes corridors baignés de lumière.
- Un instant, vous ne m'avez pas répondu que faites-vous là, jeune homme ?
- Et bien messire, je m'excuse, je suis un peu désorienté, ce lieu saint est si
vaste et si sublime, que mes pas m'ont guidé à défaut de ma tête. Venant
d'arriver en tant qu'apprenti Guerrier Sacré, je me demandais si quelqu'un
pouvait me renseigner ou me guider.
- Vous guider ? Et que cherchez-vous ?
- Oh rien de précis en particulier, j'ai trouvé de quoi me reposer ici. Mais je
ne vous cache pas que j'aime la lecture notamment parce que c'est une façon
commode d'apprendre sans voyager, dit-il en esquissant un sourire.
- Ce n'est guère faux, mais parcourir le chemin est la plus sure méthode pour
comprendre la finalité de son voyage.
- Certes je n'en doute pas, mais je ne vais pas vous déranger plus longtemps
messire et je...
- Allons allons, tempéra le gardien en arborant un visage moins sévère, « je
vais vous répondre, ne vous en faites pas, même à mon âge je sais lorsqu'il ne
faut pas insister. Hélas, pour les nouveaux arrivants comme vous, il n'y a que
certains livres accessibles. »
- Ça ne fait rien messire, je suis habitué à la rareté de certaines choses.
N'est-ce pas ce qui en fait leur valeur ? Mais si cela m'est autorisé,
j'aimerais consulter des ouvrages disponibles dans ce merveilleux endroit.
Asham de Pégase nous avait dit voilà quelques semaines que nous pourrions
pénétrer dans la bibliothèque principale ...
Le gardien prit un air plus attristé :
- Hélas jeune homme, vous venez quelques décennies trop tard. Il fut une époque
où les maîtres érudits étaient nombreux et partageaient avec beaucoup de
bienveillance la connaissance qu'ils possédaient. De par leurs écrits et, à
leur manière, ils montraient la foi qu'ils avaient en l'homme. Athéna aimait
ses gardiens de la sagesse.
- Pourquoi en parlez-vous au passé messire? s’inquiéta Asturias dont le visage
apparaissait maintenant clairement sous les rayons du soleil qui se frayaient
un passage à travers l’embrasure d’une petite fenêtre.
Posant une main sur l'épaule de son interlocuteur, le gardien poursuivit d'une
voix mélancolique :
- Sincèrement jeune homme j'aimerais vous répondre, mais ce n'est pas vraiment
le lieu. Je vous dirais néanmoins que les guerres n'ont épargné personne ...
Cent fois, j'aurais donné ma vie pour sauver mes compagnons. Il faut croire
qu'Athéna avait d'autres desseins me concernant.
- J'en suis certain, nulle barrière, nulle chaîne pour ceux qui ont un idéal.
A ces mots le garde esquissa un léger sourire.
- Vous voilà l'âme poète, jeune homme ? Mais rappelez-vous les mots ont un
sens, surtout celui d'idéal. Enfin, si les bibliothèques ne sont plus aussi
ouvertes qu'avant au tout venant, sauf votre respect, il reste ainsi la
possibilité d'acheter les livres à des marchands.
- Des marchands ? interrogea Asturias d’une voix incrédule. « Sont-ils des
pilleurs de tombes ou que sais-je encore pour posséder des écrits rares ? »
- Ces gens ne seraient pas les bienvenus ici, jeune homme ! s’offusqua le
gardien. « Mais si cela peux vous rassurer, la plupart ont des notions
certaines de scribes et de copistes. Il serait très surprenant ainsi qu'ils
vous vendent des versions originales, tiré de la plume d'un maître érudit. Le
village du Sanctuaire est fameux pour son centre de copistes émérites. »
- Pardonnez-moi, répondit le Dalmate en baissant le regard, mes propos étaient
déplacés. Je serais ravi de rencontrer certains de ces marchands, parce que je
cherche des informations notamment sur les thèmes anciens.
Le garde mena le jeune homme dans une petite salle remplie de parchemins. Un
scribe les rangeait délicatement dans des emplacements fichés dans les murs de
pierre. Le garde ne resta pas plus longtemps, laissant le scribe s'occuper du
nouvel arrivant. Ce dernier s'inclina respectueusement et ne tarda pas à
rentrer dans le vif du sujet.
- Le gardien qui m'a mené ici m'a expliqué que nous ne pouvions pas encore nous
rendre dans la bibliothèque principale. Il semblerait néanmoins que vous
puissiez m'aider à découvrir quelques parchemins, au moyen de copies notamment.
Avez-vous déjà entendu parler ou lu des écrits sur le roi des cieux ? Ou bien
de la contrée des mages maudits ? Que dire sur Eluontios ?
Surpris, le vieil homme barbu dévisagea Asturias, une expression de
stupéfaction peinte sur son visage.
- Et à qui ai-je l'honneur ? Et qu'est-ce que c'est que ces parchemins ???
- Je manque à tous mes devoirs, je suis Asturias de Dagorlad, apprenti Guerrier
Sacré d'Argent. Je suis en attente de mon départ prochain pour une mission sous
la conduite de Maître Yolos. En attendant, j'occupe mon temps.
Le scribe se décontracta.
- Oui oui, je vois, tu es un de ces nouveaux érudits. Un des tiens, nommé «
Étranger », est passé ici hier, cherchant des écrits sur Asgard. Je vais te
dire ce que je lui ai dit : passe commande, nos copistes satisferont ta soif de
savoir si Maître Graal la juge saine.
- Très bien, je vous remercie. J'aimerais donc savoir si vous pouviez me
fournir des écrits sur Suvidsastr, sur la Dalmatie et enfin sur Eluontios.
- Je soumettrais ta requête à Graal. En attendant, tu devrais t'entraîner un
peu au combat, ça pourrait te servir jeune Asturias, conclut-il en ne masquant
pas un rictus moqueur qui laissa son interlocuteur perplexe.
Dès le soir même Graal accepta la requête du Dalmate qui fut transmise à
Ménandre, le copiste en chef de la bibliothèque du Sanctuaire par un messager.
- Ménandre, un jeune homme demande trois recueils de je ne sais quoi. Il faut
que tu en prépares des copies !
- Bien bien, je m'y mets. Mais ce ne sera pas gratuit ! Enfin, je suis ravi de
constater que les jeunes s'intéressent à autre chose qu'aux combats d'arène !
Ménandre s'assit sur une petite chaise usée par le temps. Il prit délicatement
les exemplaires précieux commandés par le jeune Asturias. Il s'attela à la
tâche... avant que le messager ne quitte la bibliothèque, Ménandre reprit la
parole :
- Cassiopolos : fais savoir à tous ces jeunes hommes que les érudits pourront
passer commande de livres sur un thème qui leur est cher. Je compilerai les
informations dont nous disposons. Qu'ils me demandent des renseignements sur
l'Hadès, je leur ferai un volume leur révélant bien des secrets ! Mais précise
bien que tout a un prix, et le premier de ces prix est la patience !
- Bien.... « Vieux fou, susurra-t-il en haussant les épaules. Perdre son temps
dans une bibliothèque ! Il ferait mieux de parier quelques pièces sur le frère
du colosse Cassios : il va sûrement remporter le tournoi! »
Le travail du copiste fut aisé, le résultat à la hauteur des espoirs du jeune
Dalmate.
« Livre sur Suvidsastr, le dragon de platine
*Suvidsastr est vénéré en de nombreuses contrées. Tous les dragons encore en
vie lui rendent hommage et le tiennent en très haute estime. Même les dragons
corrompus par le Mal le plus obscur le respectent tant sa puissance fait
frissonner l'ensemble des êtres vivants.... et jusqu'aux dieux !
*Suvidsastr est sévère et désapprouve le Mal, qu'il ne peut souffrir. Malgré
tout il s'agit d'un des êtres les plus compatissants. A l'écoute constante des
opprimés, des exclus, des faibles, il peut tout aussi bien pardonner à ceux qui
ont commis des crimes. Certains dieux pensent que tuer Suvidsastr permettrait
de mettre fin à l'une des dernières grande menace pesant sur eux : Suvidsastr
en effet, selon certains, pourrait terrasser le grand dieu grec Zeus en combat
singulier !
*Quelques hommes sont au service de Suvidsastr. Ils forment un véritable clergé
consacré au grand dragon sage. Seules des personnes bonnes peuvent servir
Suvidsastr. Les mortels de certaines contrées ont élevé des temples à l'effigie
de cet être quasi divin, particulièrement dans les pays septentrionaux.
Treghor d'Occident - fragments druidiques traduits par Yolos, serviteur
d'Athéna - »
« La Dalmatie
*Région totalement montagneuse, parfois clairsemée de forêts obscures, est très
mystérieuse. Proche de la Grèce qui se trouve au Sud, proche de l'Occident qui
se trouve au nord, la Dalmatie n'est sous la protection d'aucune divinité. Ceci
explique certainement qu'une famille noble s'est arrogé le droit de présider
aux mystères des morts ! Insulte suprême aux dieux ! Ou preuve du désintérêt
pour cette contrée de ces derniers ... Toujours est-il qu'un monastère existe
encore de nos jours, protégeant les populations locales contre le Mal. On y
trouve une bibliothèque très abondante sur les choses de la Mort et c'est un
endroit plein de charme même si la route à travers la montagne menant à cet
endroit est assez dangereuse.
*Le plus intéressant pour le voyageur réside dans les paroles qui suivent : «
Voyageur, toi qui dois passer dans ce pays barbare : fuis ! Cette terre est en
effet le repère des plus infâmes demi-dieux ou apprentis dieux éveillés au 8è
sens, de monstres hideux. » Cette maxime s'explique aisément en vérité :
quelque part, sans que personne ne sache réellement où, se trouve un gouffre
menant au royaume de Morts. Mais, contrairement aux autres portes de ce type,
celle-là est ouverte dans les deux sens ... Même Athéna, notre déesse guerrière
et farouche, a fermé son temple en Dalmatie, une de ses prêtresses ayant été
corrompue par ce pays maudit.
Graal, serviteur d'Athéna - rapport de voyage - »
« Eluontios
*Divinité de Germanie. Cette divinité est associée aux carnages et à la terreur
par ses serviteurs. Eluontios est un ancien homme qui fut chassé par les dieux
des premiers âges pour sa trop grande passion pour les massacres en tout genre.
Ayant néanmoins atteint le 9è sens, il parvint à se cacher dans une grotte
froide et obscure de Germanie, fuyant le courroux du dragon Suvidsastr lancé à
sa poursuite. Là, pendant des siècles, il apprit à changer de forme, et surtout
à se battre de la manière la plus sauvage possible. Aujourd'hui on dit qu'il ne
ressemble plus à un être humain mais à un Troll, ou un Homme-Bête. Capable de
créer, grâce à de la simple terre, des multitudes de créatures abominables, son
surnom est La Horde.
*Eluontios exhorte ses serviteurs, y compris humains, - car ils existent ! -, à
verser le sang partout. Son but ultime semble le règne des lois les plus sauvages,
et la perte des dieux. Les ennemis les plus forts doivent être mutilés, le vol
est un acte de valeur. Nulle personne n'est coupable si elle a commis un crime
: c'est la loi de la nature qui fait foi selon Eluontios. Chose extraordinaire
cet être vil a réussi à blesser en combat singulier le fougueux dieu Arès,
l'impétueux Thor d’Asgard ... Bhaal même le craint (lors d'une de ses campagnes
les hordes d'Eluontios arrivèrent sur les berges de Canaan, pays du maléfique
Bhaal).
*Tout lieu de carnage ou de massacre est un lieu à sa gloire. En vérité, même
le féroce Seth des terres égyptiennes, même le tempétueux Poséidon craignent
cet être d'une brutalité sans égale. Il ne faut pas oublier que certains dieux
barbares, mineurs et médiocres certes, mais dieux tout de même, ornent son
tableau de chasse : Tribantes, le dieu Asgardien Sif, l'Egyptien Bès, et même
une des nôtres, la douce Hestia.
Cléandre d'Argos »
Le tournoi
Dans une pièce à part, deux hommes s'affairaient autour d'une pile de fiches.
- Nous tenons enfin nos groupes !
- Oui Yolos, je suis d'accord. Je ne connais pas trop les petits nouveaux, mais
ce tirage me semble correct, il va y avoir du sport ! J'ai hâte de les voir
enfin à l'œuvre.
- Allons Graal, du sport, c'est vite dit. Ce ne sont encore que de simples
éphèbes ... mais les confrontations seront intéressantes. Le passage du
cimetière semble avoir démontré que quelques-uns ont avancé dans la maîtrise de
leur Souffle Divin.
Quelques heures plus tard, dans la grande salle du Sanctuaire, une affiche fut
placardée :
« En l'honneur du tirage des destins qui sera bientôt organisé en présence de
la Grande Prêtresse d'Athéna et du retour de Maître Yolos, un tournoi de lutte
va être organisé dans notre grande arène ! Le vainqueur se verra remettre le
titre honorifique de grand guerrier d'Athéna, ainsi qu'un cadeau au-delà de
toutes ses espérances ! Les combats se termineront par KO, un serviteur
d'Athéna ne renonce jamais à se battre contre un mortel ! »
Macubex passa le premier devant l'affiche, portant les parchemins qu'il avait
commandés à Ménandre. « Un tournoi ... », pensa-t-il, un sourire malicieux
naissant sur son visage.
La nouvelle fit vite le tour du Sanctuaire. Le tableau des participants ne
tarda pas à être dévoilé, ainsi que les règles, fort simples au demeurant : un
seul victorieux, pas d'arme, combat à main nue, avec une armure fournie par le
Sanctuaire. Victoire en 2 manches gagnantes sans repos ni soins entre deux
manches, abandon non autorisé ! Participants : Asturias, Mâa, Pallas,
l'Etranger, Harald, Séléné, Nevali, Seth, Frank, Artholos, Nekkar, Shiro,
Bamos, Darkhan, Xantipolapoulos et Minosandre. Ce dernier était le champion en
titre de lutte, le frère d'un nommé Cassios qui faisait rêver tous les jeunes
garçons du Sanctuaire. Tout le monde louait sa force, son courage dans l'arène,
tout le monde espérait qu'un jour Athéna permettrait au grand Cassios de
devenir un Guerrier Sacré, ainsi qu'à son jeune frère ... l'heure était
peut-être arrivée ! Xantipolapoulos et Bamos étaient deux guerriers rugueux,
connus pour leur ardeur au combat ... Le plateau semblait donc particulièrement
relevé.
Mâa se promenait dans les allées du Sanctuaire. Absorbé par ses pensées, il
réalisa que les gardes le regardaient et cachaient à demi un sourire moqueur...
« Qu'est-ce qui vous fait rire ? » demanda-t-il en fronçant les sourcils, signe
inhabituel de colère chez le jeune Egyptien.
Les gardes reprirent alors leur allure martiale, se contentant de lâcher : «
Rien, jeune homme, mais vous feriez mieux d'aller voir de plus près cette
affiche ... » S'éloignant, Mâa les entendit rajouter : « Non, pas l'ombre d'un
doute, je ne miserai jamais ma solde sur celui-là ... », pouffa le premier,
tandis que le second peinait à garder son sérieux.
Mâa alla lire l'affiche se trouvant sur la place forte. Cela le mit en colère,
le rire des gardes l'avait définitivement irrité. « Si j'ai été appelé, c'est
que je recèle en moi un pouvoir, je leur montrerai à tous !!! » Son seul atout
était de bien les connaître, il ne résidait pas seulement dans le fait de les
avoir souvent vu combattre, mais surtout dans le fait que Mâa avait souvent
pansé leurs blessures. Cela signifiait que, mieux que quiconque, il savait
comment les mettre à terre.
Son compagnon égyptien passait ses journées à parcourir le Sanctuaire, marchant
souvent seul en parlant, ce qui inquiétait Mâa. Depuis quelques temps, Seth
mettait à profit ce que le Sanctuaire avait mis à sa disposition, du temps,
pour examiner la faune et flore locale. Mais cette fois, des mouvements
attirèrent son attention ... Une agitation inhabituelle, près d'un des murs. «
Tournoi ?... Quel intérêt ? » murmura-t-il. « Humm Séléné ... Ce serait amusant
... Ou bien sera-t-il plus amusant de le laisser croire en sa force ? ». Il se
mit à rire, un air jovial sur le visage. Oui, cela serait intéressant
finalement, oui, il y avait quelque chose à faire.
***
Pour Asturias, le temps ne s'écoulait plus en dehors de ses lectures et des
heures passées avec Ménandre qu'il avait fini par rejoindre sur invitation de
ce dernier. Profitant d'un moment de repos, il se dirigea vers le marchand du
Sanctuaire qui revenait, disait-on, d'Égypte
- Non, effectivement, je ne les ai jamais vues de mes yeux, vous attirez ma
curiosité messire. Et vous dites qu'elles seraient censées être les tombes de
rois anciens ? demanda le jeune Dalmate avec une pointe d’excitation dans la
voix.
- L'Égypte recèle bien des mystères vous savez, une vie ne suffirait à en
explorer la moitié, acheva le marchand, un large sourire barrant son visage. Il
reprit, se grattant la barbe et plissant les yeux, montrant ainsi
ostensiblement sa surprise : « Quoi qu'il en soit vous m'impressionnez, c'est
la première fois que j'entends parler d'un collectionneur de livres qui... »
- Hum, intervint Asturias. « Le terme consacré est érudit... »
- Ah oui euh ... et bien, comme je le disais, c'est bien la première que je
vois un... é-ru-d-i-t... participer à un tournoi de cette envergure.
- Un quoi ?! De quoi parlez-vous ? répliqua Asturias en fronçant les sourcils.
- Ma foi, je ne fais que répéter ce qui est indiqué sur les affiches du grand
Naos , inutile de vous dire que cela a vite fait le tour du Sanctuaire et des
environs. Tenez, regardez, j'en ai une près de mon échoppe. L'homme tendit le
doigt dans la direction effective d'une affiche placardée avec minutie contre
un panneau de bois.
Reposant les fruits qu'il sélectionnait sur l'étale, Asturias s'avança
suffisamment pour pouvoir lire les inscriptions distinctement.
- Le destin s'acharne-t'il sur moi pour que, dans le lieu le plus saint que
j'ai pu visiter ces derniers mois, il faille encore et toujours se battre...
- Allez ne faites pas la mauvaise tête, vous verrez vous allez bien vous amuser
! Et puis je vous trouve un peu fluet, de l'exercice vous verrez ça vous fait
un homme en un rien de temps ! De plus les prêtres veillent au grain, les
accidents mortels sont peu courants vous savez, dit un garde qui s'était
rapproché en reconnaissant le jeune élu.
-Peu courants ?! Charmant ... rétorqua le Dalmate en s'étranglant à moitié.
- Vous aurez peut-être la chance de croiser mon favori, Minosandre, un vrai
champion, taillé pour la bataille ! Vous allez l'adorer ! C'est le champion en
titre, le frère du Grand Cassios ! s'exclama-t-il en envoyant une grande claque
dans le dos d'Asturias.
- Face à tant de perspectives réjouissantes, je ne peux que m'incliner et vous
souhaiter bonne journée. Le jeune homme commença à s'en aller.
- Hé, messire ! N'oubliez pas vos oranges, c'est plein de bonne choses
parait-il !
- Pas autant que ceci messire, pas autant que ceci, répondit Asturias en secouant
de la main un large livre à la reliure de cuir. Mais il ne put lui non plus
retenir un sourire amical. En chemin, il croisa quelques-uns de ses compagnons
qui discutaient sous le couvert d'un chêne majestueusement courbé par le temps.
Il se rapprocha d’eux et se mêla à la conversation menée par Pallas.
- C'est en discutant avec Darkhan, que j'ai appris qu’un tournoi était
organisé. Ce tournoi est en l’honneur de la déesse Athéna. Je ne vois pas
l’intérêt d’une telle compétition mais il serait de mauvais goût de refuser,
puisse-t-il en être possible. Depuis que nous sommes arrivés au Sanctuaire,
nous n’avons pas progressé ou du moins que d’une façon banale, en réalisant un
entraînement que j’aurais pu mettre en place seul … A moins que je me trompe et
que sans m’en rendre compte. A force de côtoyer des éphèbes qui sont dans le
même cas peut-être que notre jugement est faussé quant à nos aptitudes.
Pourtant cette chose, que Yolos appelle Souffle Divin, je ne sens pas encore
qu’il est en moi.
Shiro écouta Pallas sans rien dire mais montrant ostensiblement qu'il
partageait ses interrogations. Il finit par prendre la parole à son tour.
- Ce Xantipolapoulos, qui peut-il bien être ? Sans doute un autre apprenti qui
vient d’arriver au Sanctuaire. Notre arrivée ne s’est pas faite en même temps
et j’ai également entendu qu’un garde voulait tenter une armure, c’est
peut-être lui.
- Et ce Bamos, répliqua Artholos. « Bamos… Bamos… Bamos, ce nom me dit quelque
chose. » Comme il fermait les yeux, ses souvenirs refirent surface. Il tapa du
poing dans la paume de sa main droite : « C’est ça ! Je me rappelle, deux
gardes en ont parlé lorsque je me suis rendu en ce lieu. Je vais aller les
interroger, ils connaissent peut-être mon adversaire ; et bien connaître son
adversaire est une des clefs pour prendre le dessus sur lui. »
Un garde s'approcha du petit groupe, poussant Darkhan d'un léger coup d'épaule
et invectivant les éphèbes : « Xantipolapoulos ! Vous ne connaissez pas
Xantipolapoulos ! Celui qui pêche des requins et des dauphins à main nue !
Celui qui casse les rochers ! Celui qui assomme un sanglier d'un coup de tête !
C'est le champion des champions ! Ne me dites pas que vous tombez contre lui !
Ne me dites pas que vous tombez sur Xantipolapoulos dit "Le
Raphaelos" !!!!! »
- Bien, en voilà un à ma taille ! s'exclama Séléné en faisant craquer ses
doigts sous le regard incrédule du garde.
***
« Un tournoi organisé au sein du Sanctuaire … » Harald était seul, assis contre
un arbre dans la campagne voisine du Sanctuaire.
« J'ai combattu toute ma jeunesse en Asgard chez le chef Krakilein, l'homme qui
m'a acheté à la caravane de marchand d'esclaves. Ses orgies, qu'il planifiait
dans son domaine, étaient aussi le prétexte à l'organisation de combats en
arène. Les nobles d'Asgard les plus véreux et cruels usaient de ce moyen pour
mesurer leur notoriété. Celui qui avait les meilleurs combattants était le plus
respecté ... Gregus mon ami ... mon premier ami ... »
Harald ferma les yeux et revit une scène de son passé.
« Gregus, mon ami, nous devons sauver notre peau et sortir vivants de cette
arène. C’est maintenant que tu dois montrer ce que tu vaux au combat. »
Tout en combattant, Harald rassurait sans cesse son ami… Il le devait pour la
survie de tous les deux
« Attention Gregus ! Derrière-toi ! »
Gregus esquissa un pas de côté mais la chaîne qui reliait sa cheville à celle
d’Harald pénalisait énormément ses déplacements ; il n’allait pas pouvoir éviter
la lame de son adversaire qui arrivait dans son dos. En un instant, Harald vit
la lame sortir de la poitrine de son compagnon d’infortune. Le regard du jeune
alla tout doucement de sa blessure sanguinolente vers les yeux d’Harald.
« Harald… Mon ami… Que dis-je… Mon frère…. Jure-moi de te sortir vivant d’ici….
Et de devenir un homme respectable et franc… Arrrrrrrgh. »
Le corps de Gregus s’écroula sans vie.
« Noooooooonnnnn ! », hurla Harald, avec une voix plus proche de la rage que de
l’abattement. Des larmes commencèrent à perler sur ses joues. Elles annonçaient
la tempête qui allait fondre sur ses adversaires.
On se rappela de ce jour comme celui de la victoire d’Harald sur sept
redoutables adversaires. Tout le monde se souvient encore comment Harald avait
porté le frêle corps inanimé de son ami tout en combattant dignement et
terrassant ses adversaires de sa seule épée, sous les cris d’une foule avide de
sang mais de plus en plus inquiète devant l’effroyable combat que menait ce jeune
guerrier ivre de colère. Seul, au milieu de l’arène, Harald vit finalement un
homme approcher. Le combat venait de cesser, tous ses adversaires baignaient
dans leur sang. C’était Gwirlhem, son maître d’arme.
« Je suis fier de toi Harald…tu es digne de mon enseignement. Je vais penser
tes blessures pour que nous reprenions l’entraînement au plus vite. » Alors que
Gwirlhem lavait les plaies de son élève, Harald était perdu dans ses pensées se
disant qu’il avait perdu son meilleur ami.
Il sortit de son songe et regarda la course des nuages qui traversaient le ciel
du Sanctuaire. « Ma destinée me pousse encore à combattre contre mes amis ! Le
destin est-il aussi cruel ? »
Au loin, il entendit la voix de Frank qui essayait de couper avec une petite
hachette un immense arbre pour fortifier son corps. Il se tourna vers son
compagnon et l’appela, tout en essuyant la transpiration qui perlait sur son
front.
« Hého ! Harald ! Ça y est on connaît le nom de nos adversaires ! Le tien se
nomme Bamos ».
« Qui est ce Bamos ? Peu importe, finalement je ne combattrai pas contre un ami
au premier tour. Les esprits des forêts m’ont écouté. J’userai de tout
l’enseignement de Gwirlhem afin d’en sortir vainqueur. Ainsi soit accomplie la
volonté d’Athéna. Je ne m’y soustrairai pas. »
***
La foule s'était pressée autour de l'arène. De partout les cris montaient, les
encouragements succédant aux insultes. Ce tournoi était un véritable exutoire
pour tous ceux qui vivaient au Sanctuaire. Le premier combat avait opposé
Asturias à Macubex. Ce dernier avait été mis en difficulté dès le début sous
les coups de boutoir du Dalmate qui avait une véritable science du combat. En
deux manches victorieuses, l'affaire fut entendue. Macubex salua son vainqueur
et rejoignit un banc disposé pour ceux qui ne combattaient pas ou plus. « Il
est rapide et très technique. Je vais maintenant pouvoir me concentrer sur les
autres combats », pensa le jeune Hindou en fronçant les sourcils à la vue de
Mâa et de Nevali qui se mettaient en garde. Contre toute attente, Mâa explosa
littéralement son adversaire par une série de feintes qui épuisèrent Nevali. Ce
dernier perdait son souffle et finissait à chaque fois par commettre une erreur
immédiatement exploitée par le serviteur de Râ, déclaré vainqueur en deux
manches. Le troisième combat fut plus âpre. Pallas tint bon pendant de longues
minutes face à Xantipolapoulos, le touchant à de nombreuses reprises au visage
par de rapides coups de poings. En vérité, le champion savait faire durer le
plaisir et il lui suffit de deux assauts pour propulser Pallas contre les bords
de pierre de l'arène, mettant ainsi fin à la confrontation par KO. Bien que
saignant abondamment, Pallas n'était pas trop blessé, contrairement à Harald qui,
s'il vint à bout de Bamos lors du quatrième combat, gagna par épuisement de son
adversaire.
- Harald est fini, commenta Macubex qui ne perdait pas une miette des combats.
Il a été touché au foie, il ne parviendra pas à se remettre sur pied pour le
prochain combat.
- Tu as raison Étranger, rétorqua Seth en se levant, je vais voir si je ferai
mieux face à Séléné.
Le combat fut expéditif. Séléné utilisa tout son savoir-faire et sa fameuse
technique utilisée dans la forêt du Sanctuaire contre le sanglier enragé. Seth
revint s'asseoir en souriant auprès de Macubex, tandis que le géant du Caucase
hurlait sa joie face au public en transe.
« Et voilà, je suis débarrassé moi aussi, nous allons pouvoir regarder le reste
tranquillement », conclut-il en regardant son voisin d'un air complice.
Le plus beau combat du premier tour opposa Artholos à Frank. De forces égales,
le premier finit par l'emporter au bout d'une demi-heure de lutte, lorsque
Frank trébucha et reçut aussitôt un coup de pied dans le visage, le sonnant
pour quelques minutes. De son côté, Nekkar usa de toute sa ruse pour venir à
bout d'un Shiro peu enclin à se battre, Darkhan ne tenant pas plus d'une minute
face à Minosandre.
Les coups de poings succédaient aux coups de pieds, les feintes aux blocages.
L'énergie déployée était extraordinaire, la fatigue ne jouant pas sur la
qualité des combats. Asturias se qualifia pour la demi-finale au dépend de Mâa,
son adversaire Xantipolapoulos se débarrassant très difficilement d'un Harald
héroïque malgré la douleur. Dans l'autre tableau le choc des muscles vit Séléné
l'emporter sur Artholos, Nekkar échouant face à Minosandre, qui dut cette
fois-ci attendre cinq minutes pour être victorieux. Les spectateurs étaient
ravis, femmes, enfants, gardes, simples badauds autorisés à assister au
concours, tous goûtaient avec frénésie au spectacle.
- Alors Graal, qu'en penses-tu ? questionna Yolos en profitant d'un moment de
pause entre les combats.
- Et bien, tes élèves se défendent correctement. Certains n'ont pas vraiment
joué le jeu, mais les autres rattrapent l'affaire. Nous aurons une belle
finale.
Yolos se retourna vers l'arène.
« Asturias va vaincre Xantipolapoulos sans trop de difficulté, ce dernier
n'ayant même pas compris qu'Harald lui avait fait chèrement payer sa victoire.
Il doit bien avoir trois côtes cassées, Asturias ne mettra pas longtemps à s'en
apercevoir. Je pense que Séléné ne parviendra pas à vaincre Minosandre, il ne
réfléchit pas encore assez, il tombera sous les coups de cette autre montagne
de muscle éprouvée aux combats d'arène. Finalement, Asturias l'emportera en
finale, car il aura vu dans le jeu de son adversaire la faille, sa difficulté à
parer les coups sur les jambes. Il encaisse, il n'évite pas. Ses genoux ne
tiendront pas, Asturias vaincra, un beau vainqueur au final ».
Le corps du colosse tomba dans un nuage de poussière rouge après être resté
quelques instants sur ses deux genoux. Le visage de Minosandre était sans vie,
le champion était vaincu par KO suite à un combat dantesque. Asturias fut porté
en triomphe, le triomphe du nouveau champion du Sanctuaire, le héraut de
l'arène, Denis Brogarios entonnant un chant de louanges en son honneur, chant
repris par tous les spectateurs !
Macubex se tourna vers Seth. « Maintenant nous connaissons mieux nos amis non ?
» lança-t-il en se levant doucement. « Assurément Étranger, et nous sommes
certains d'une chose, ici la force physique ne fera pas tout », conclut
l'Egyptien.
Lénas
La nuit tomba assez vite sur les convives du grand banquet organisé en
l'honneur d'Asturias, nouveau champion du Sanctuaire. Les chants montaient vers
le ciel étoilé, les habitants du Sanctuaire dansant autour de feux disposés tout
autour de l'agora principale. Il était rare que l'ensemble des serviteurs
d'Athéna soient ainsi réunis, simple paysan, garde, éphèbes et Guerriers Sacrés
ne formaient en cet instant qu'une seule communauté rendant hommage au héros du
jour. Asturias ne semblait d'ailleurs pas trop goûter à cette célébrité
naissante et nouvelle pour lui, mais il n'avait pas le choix, sa toge blanche
de vainqueur ornée de pourpre, sa couronne de laurier attiraient tous les
regards et les convoitises de quelques jolies jeunes admiratrices. La fête se
poursuivit une bonne partie de la nuit avant que les éphèbes, épuisés par leurs
combats ne retournèrent dans leurs appartements. Après quelques heures de
sommeil, Asham vint les réveiller un par un, Yolos les attendait dans la grande
salle du Naos.
- Te voilà aussi Séléné, on dirait que nous n'allons pas avoir le temps de nous
reposer beaucoup, Yolos est toujours porteur de nouvelles épreuves.
- Je n'ai que faire de Yolos, moi tout ce que je veux maintenant c'est partir
en quête de mon Armure, progresser et devenir le plus puissant des Guerriers
Sacrés, répliqua le Caucasien à demi réveillé.
Nekkar et Séléné furent les derniers à rejoindre leurs compagnons déjà
installés en cercle autour de Yolos. Ce dernier fit signe aux deux derniers
arrivés de prendre place aux côté de Nevali avant de prendre la parole,
laissant poindre quelques signes de fatigue sur son visage.
- Le grand jour est presque arrivé, enfin. Vos luttes d'hier ont été très
intéressantes. Vous avez fait honneur à la tradition du Sanctuaire, vous êtes
tous de dignes éphèbes, quelque fut votre parcours dans ces combats.
- Excusez-moi Maître Yolos, mais les inconnus qui se sont joints au concours
organisé ...
- Oui Pallas, eux aussi sont des éphèbes, ils sont partis ce matin même pour
leur quête. Veille à ne pas me couper la parole une autre fois, n'oublie pas
qui je suis !
Pallas rougit en baissa maladroitement son regard tandis que ses voisins
immédiats ressentaient une gêne évidente face au regard inquisiteur qui se
posait sur le jeune Grec. Yolos poursuivit enfin ses explications.
- Vous connaîtrez dans quelques jours vos lieux de quêtes. Avant ceci, j'ai une
mission à confier à six d'entre vous. Les autres resteront ici pour préparer
les équipements de voyage. Cette mission est importante à mes yeux. Un ancien
membre du Sanctuaire ayant été éconduit suite à des actes impies, a osé braver
l’autorité d’Athéna en s'attaquant à plusieurs reprises à nos marchands
rejoignant Araphen et Argos, les deux ports qui assurent notre ravitaillement.
Lénas, tel est son nom, doit être puni de mort pour ces actes odieux. Seth,
Séléné, Nevali, Artholos, Pallas et l’Étranger, vous accomplirez cette tâche.
Pallas, tu connais Argos, lieu où se trouverait Lénas en ce moment : tu
conduiras le groupe. Vous avez toute latitude pour tuer ce traître. Il vous
attendra certainement, faites attention. Je rajouterai qu'Argos est sous la
protection de Poséidon, ne comptez pas sur le Sanctuaire pour vous aider si votre
acte vous conduisait dans les geôles du Seigneur des Océans. Des questions ?
- Oui, répondit Seth d'une voix assurée. Athéna n'est-elle pas une déesse qui
sauve les Hommes, sert la paix ... vous nous parlez de meurtre tout de même ...
Yolos se rembrunit soudainement. « Je vous parle de justice, de la sentence
divine d'Athéna. Il n'est de place pour les remords ou que sais-je encore. Vous
aurez pire à faire en temps que Guerriers Sacrés, si certains d'entre vous
hésitent qu'ils quittent cette pièce sur-le-champ. Le village du Sanctuaire a
besoin de bras, offrira une quiétude morale aux faibles d'esprit. »
- Je sais ce que je voulais savoir Maître Yolos, reprit Seth en inclinant
respectueusement sa tête, la sentence sera appliquée, pour Athéna.
Le groupe se sépara sans un mot lorsque Yolos eut expliqué ce qu'il attendait
exactement des autres. Les six élus se regroupèrent autour de Pallas qui
proposa de partir sur le champ. Yolos leur avait laissé une semaine, après quoi
ils seraient déclarés traîtres au Sanctuaire et donc pourchassés par des
Guerriers Sacrés de la trempe d'Asham. Il fallait faire vite, Argos se trouvant
à deux jours de marche forcée du Sanctuaire. L'entraînement suivit depuis plus
d'une année maintenant avait fait son œuvre et ils arrivèrent en vue d'Argos
après une journée et demi de course effrénée. D’est en ouest, la plaine d'Argos
s’étendait à perte de vue : seuls quelques affleurements rocheux épars venaient
rompre la monotonie du paysage embrumé. Et ce ciel ! Une année entière de
voyages, et il leur semblait n’avoir jamais rien vu de tel. Le soleil
disparaissait derrière un épais voile laiteux, si bien qu’il était impossible
même de distinguer le jour de la nuit. De loin en loin, la muraille d'Argos se
détachait progressivement, majestueuse protection de la cité du Seigneur des
Océans.
« Nous devrions faire attention maintenant. Les guerriers d'Argos
patrouillaient jusqu'ici lorsque je vivais dans cette cité. Les raids de
pirates étaient incessant avant que nous premier ce navire pour rejoindre
l'Anatolie, je doute que la situation ait véritablement changé ».
Le navire vers l'Anatolie ... le port de Nauplion ... l'homme en noir ... que
de chemin parcouru depuis plus d'une année ! Progressant rapidement, tout en
restant sur leurs gardes, les six hommes ne tardèrent pas à franchir le seuil
de la riche cité. Il y avait beaucoup de monde, comme d'habitude. Pallas ne
cachait pas son plaisir de revenir sur ses terres, même s'il faisait attention
de ne pas croiser quelqu'un qui eût pu le reconnaître.
- Dis-moi Pallas, charmante tradition que celle-ci ! Des cages de squelettes,
je trouve que cela va très bien avec les pavés de marbre blanc et la richesse
des temples. Ce Poséidon a du goût !
- Tu devrais modérer tes propos Nevali, le Seigneur Poséidon entend tout, voit
tout, nous sommes sur ses terres. Il ne faut pas attirer son attention alors
tais-toi, murmura Pallas en donnant un coup de coude sec contre les côtes de
Nevali, lui arrachant un rictus de douleur.
- Ça suffit vous deux, s'emporta Artholos qui cachait de moins en moins son
malaise face à cette mission. Bon, où trouver ce Lénas qu'on en finisse.
- Tu as raison Artholos, ne tardons pas. Plus vite il sera mort, plus vite nous
rejoindrons le Sanctuaire. Je n'aime pas l'ambiance de cette cité et le regard
de ces gardes qui ne nous quittent pas des yeux depuis notre arrivée, indiqua
l'Etranger d'un léger mouvement de tête sur le côté.
- Nous sommes des étrangers, ils nous ont remarqués à l'instant même où nous
avons pénétré dans la cité. Pallas, où peut loger Lénas ? Cette cité semble
riche, y a-t-il un endroit pour de simples voyageurs poisseux comme nous ?
questionna Seth qui avait laissé apparaître son visage en retirant la capuche
de son manteau gris et souillé.
Pallas ne réfléchit pas trop longtemps tant la réponse lui semblait logique.
- Je vous en ai parlé en chemin : pour tuer quelqu'un ici sans être inquiété,
il faut être en légitime défense, ce qui sera difficile dans notre cas.
- Ça, nous verrons, rétorqua Seth, « mais en attendant tu ne réponds pas à ma
question ».
- J'y viens justement. Il existe cependant un endroit qui est, comment dire, «
hors justice ». « Le Cratère sans Fond », pointa-t-il du doigt un bâtiment reculé
d'une petite impasse. « Cette auberge est tolérée par Poséidon, elle est
réputée pour sa violence, les meurtres qui y sont commis en toute impunité.
C'est le rendez-vous des pires pirates, brigands, joueurs, voleurs qui soient.
C'est aussi la seule auberge à accueillir les étrangers de passage. C'est là
que notre homme doit vivre, c'est là que nous pourrons le tuer sans être
inquiétés ... »
- Ton pays me plaît Pallas ! « Le Cratère sans Fond », je suis certain qu'on y
boit d'excellents breuvages, cette mission me plaît de plus en plus !
- Nevali je me demande encore ce que nous avons en commun pour partager le même
destin, dit Artholos en hochant nerveusement la tête. « Tu n'es pas mieux qu'un
Sinanthrope poisseux ! »
- Suffit, coupa Seth, nous avons une mission à accomplir, allons trouver ce
Lénas.
L'auberge était remplie, comme à son habitude. Une bagarre venait de se
déclencher dans un coin, opposant une bonne dizaine de personnes. A l'entrée,
deux prostituées proposaient leurs services, quelques pas plus loin un concours
de boisson attira l'œil connaisseur de Nevali. A leur grande surprise, Lénas ne
tarda pas à se montrer. Il attendait visiblement la venue des serviteurs
d'Athéna et ne paraissait aucunement surpris de leur arrivée. D'un pas décidé,
il marcha vers eux en poussant au passage un marin enivré qui finit sous une
table.
- Je vous attendais. Je savais que vous viendriez. Athéna est vraiment une
déesse faible, m'envoyer six guerriers, elle aurait pu m'envoyer des Guerriers
Sacrés ! Non, elle a peur de les perdre ! Je vous maudis comme je maudis le
Sanctuaire, finissons-en, en garde !
- Avant que tu rejoignes les enfers, j'aimerais savoir comment tu as su que
nous servions Athéna, s'enquit Seth en s'asseyant tranquillement sur un
tabouret.
- Vous faites partie de mon épreuve, c'est Chlatidius qui vous a choisis. Si je
vous élimine, je rejoindrais les forces de Poséidon. Donc je les rejoindrais.
Allons, en garde chiens !
Lénas se mit en pose de combat. Il était presque aussi grand que Séléné et
visiblement très sûr de lui. Pallas et Artholos s'étaient déjà décalés pour
l'encercler lorsque Seth fit signe à Séléné de faire un pas en avant. Ce
dernier ne bougea pas, laissant au contraire apparaître une colère de plus en
plus grandissante sur son visage à l'encontre de l'Egyptien.
« Tu te prends pour qui ! Personne ne me donne d'ordre ! Ce minus ne
m'intéresse pas, il n'est pas de taille! »
Séléné s'était suffisamment emporté pour que les tables voisines s'intéressent
à la rixe naissante. Lénas avait violemment poussé les tables et chaises qui le
gênaient, formant ainsi une petite arène de combat au milieu des bouteilles
roulant sur le sol et des cris qui se levaient pour que le combat commence.
L'Etranger se rapprocha de Séléné après avoir échangé un regard complice avec
Seth.
- Tu es le meilleur d'entre-nous, tue-le.
- JE LE TUERAI SI JE VEUX ! houspilla le Caucasien au bord de la crise de nerf.
- Non, tu ne me tueras pas mauviette, tu n'es pas de taille face à moi,
PERSONNE n'est de...
Dans un mouvement fulgurant, Séléné se projeta vers Lénas, le soulevant avec
ses deux mains tandis que son adversaire tentait désespérément de se débattre.
« Apprends que je suis Séléné le Cimmérien, l'héritier des guerriers de Kröm et
que c'est toi qui n’es pas de taille contre moi ! »
Les deux mains de Séléné broyèrent dans un craquement affreux le cou du
malheureux Lénas dont la langue sortait ridiculement de sa bouche en
accompagnant son dernier souffle de vie. Il n'y avait pas eu de combat, les
spectateurs, déçus, retournèrent à leurs occupations. La tâche avait été
accomplie sans heurt, si ce n'est une gêne morale pour Pallas ou Artholos.
Surtout, comme Macubex le signifia sur le moment, un ours venait de naître, un
ours dont la fureur ferait trembler nombre de ses ennemis futurs.
Premiers départs
Nekkar était resté en compagnie de Shiro et de Darkhan tard dans la nuit pour
achever la préparation des équipements de base ramenés des quatre coins du
Sanctuaire. Leurs amis étaient tombés de fatigue bien avant eux, les laissant
œuvrer seuls à cette tâche commandée par Yolos. Le sac de voyage était assez
fourni, mais il n'y en avait que huit, soit le nombre d'éphèbes de Bronze. Une
cuirasse en cuir renforcé de plaquettes de bronze, portant au niveau du thorax
une représentation d'Athéna, formait la base de l'équipement. Des gants, des
chausses d'hiver, d'été, des manteaux de toute nature, une chlamyde, une petite
dague, quelques fioles d'onguents, une gourde, autant d'éléments nécessaires à
la survie dans n'importe quel milieu hostile.
- Ce que je ne comprends pas, dit Nekkar en refermant le dernier sac, c'est
pourquoi nous avons autant d'équipement. Certains manteaux me semblent très
lourds, destinés à lutter contre les pires froids par exemple, je ne pense pas
que la Grèce recèle des terres si froides qu'elles nécessitent un tel
équipement hivernal !
- Je pense que nos terres de quêtes ne seront pas toutes en Grèce. Il nous
faudra sûrement voyager beaucoup, je le crains ..., soupira Darkhan épuisé par
une journée où les élus restés au Sanctuaire avaient dû accomplir de multiples
travaux avant de s'attacher finalement à la préparation des équipements.
Shiro était plus circonspect, se demandant en son fors intérieur ce qu'il
adviendrait des éphèbes d'Argent dont il faisait partie, et pour qui on ne
préparait aucun sac.
Un jour avant la limite exigée par Yolos, Séléné et ses compagnons retrouvèrent
le Sanctuaire. S’ils avaient pu quitter Argos sans être inquiétés, le chemin de
retour ne fut pas de tout repos, des brigands de la bande de Lénas les
pourchassant pour venger leur chef. Les exploits du Caucasien aboutirent à des
sentiments divers, le malaise de participer à un meurtre cohabitant avec la
découverte de nouvelles forces presque surnaturelles. Le soir même, contre
toute attente, Graal convoqua tous les élus dans le Naos. Yolos était là,
portant une riche chlamyde de cérémonie. Les deux Guerriers Sacrés conduisirent
les éphèbes dans la salle de la Grande Prêtresse, ces derniers n'ayant pas
l'occasion d'être réellement angoissés devant la célérité des faits. Les huit
sacs préparés la vieille étaient à présent devant une grande urne de céramique
peinte de motifs chatoyants. On y reconnaissait Athéna, telle que représentée
en statue dans le Sanctuaire, semblant bénir un guerrier posant un genou à
terre et courbant l'échine devant sa déesse. La voix mystérieuse de la
prêtresse envahit la salle au plafond étoilé. L’atmosphère était étrangement
chaude en cette fraîche nuit d’automne. Alors que les rafales de vent
s’engouffraient régulièrement à travers les colonnes du temple, la gardienne
des lieux semblait dégager une aura capable de réchauffer les pierres froides
qui regardaient la scène avec dureté.
« Vous voici devant vos destins. Dans cette urne vous plongerez vos mains, y
ressortant le nom de la constellation qui vous protégera si vous remportez son
armure. Que les éphèbes de Bronze s'avancent et prennent un sac ».
Les huit compagnons s'exécutèrent. Leur cœur battait la chamade, tout se
passait si vite, trop vite. Ils avaient attendu longtemps ce moment et,
pourtant, devant cet instant solennel, le doute apparaissait dans certains
esprits.
« Séléné, avance-toi et plonge ta main dans l'urne. Montre-moi ce que tu en
sortiras ».
Le Caucasien n'hésita pas un instant, plongeant sa main et ressortant une
petite figurine qu'il montra à la Grande Prêtresse bien qu'elle ferma ses yeux.
- L'Ours ! Rejoins maintenant les montagnes occidentales et ramène au
Sanctuaire l'Armure qui t'est destinée !
Séléné leva les yeux au plafond, contemplant les étoiles de sa constellation
protectrice scintiller au-dessus de sa tête. Une boule de flamme argentée
brasilla autour de lui. Séléné, absorbé par les étoiles, ne prêtait pas
attention aux décharges d’énergie qui le frappait. Puis arriva la douleur
invisible. Séléné vacilla, se mordit les lèvres jusqu’à faire couler une écume
sanglante. Il ne hurla pas. Des langues d’énergie l’enveloppèrent bientôt
jusqu’à le faire disparaître totalement. Ses étoiles explosèrent en fragments
multicolores et un souffle venu de nulle part balaya les derniers traits de
lumière, laissant place au vide. Séléné avait disparu, vision qui arracha des
regards d'horreur à ses compagnons.
« Séléné est seul face à son destin maintenant. A toi, Artholos, de rejoindre
le tien ! »
Artholos pensa fortement aux siens, à sa sœur, à son village de Valbasia. Il
n'entendit qu'un mot, « Hydrus », avant de quitter la salle dans le même éclat
de lumière que son compagnon. Ce fut au tour de Nekkar de s'avancer et de tirer
sa statuette.
« Hydra ! Rejoins maintenant l'île du Septentrion glacée et ramène au Sanctuaire
l’Armure qui t'est destinée! »
Le rite s'accomplit encore une fois sous les regards angoissés de ses
compagnons. La prêtresse ne laissait transparaître aucune émotion face à la
souffrance qui tenaillait pendant quelques instants les élus au moment où la
boule de flamme argentée les enveloppait de ses traits de lumière
incandescente. Darkhan s'exécuta à son tour, dans un silence de plus en plus
pesant.
« Le Dragon ! Rejoins maintenant les montagnes du Wullao Fang et ramène au
Sanctuaire l'Armure qui t'est destinée !
- Il vient de là-bas, murmura Mâa à Shiro, c'est un signe.
- SILENCE ! Personne ne doit troubler le rite ! s’emporta la prêtresse. « A
toi, Nevali, de connaître ton destin. »
Le jeune homme s'avança en arborant un rictus inquiet. Le fait de devoir
disparaître quelques secondes plus tard n'était pas pour le rassurer. Il
plongea sa main dans l’urne en fermant les yeux et vit bientôt, comme pu le
voir son ami Séléné, une constellation s’illuminer au-dessus de son visage
ébloui.
« Le Loup ! Rejoins maintenant les sombres forêts des terres druidiques et
ramène au Sanctuaire l'Armure qui t'est destinée ! »
A son tour Pallas fut appelé. Il serra les lanières de son sac de toutes ses
forces anticipant sa disparition programmée, de peur de perdre son modeste
équipement.
« La Croix du Sud ! Rejoins maintenant la grande Terre de Glace et ramène au
Sanctuaire l'Armure qui t'est destinée !
Seth et Harald se regardèrent, ils étaient les deux derniers. Ce fut Harald
qui, le premier, montra sa statuette à la prêtresse. Lorsqu'il se réveilla
suite au choc il se remémora les dernières paroles de la prêtresse en
embrassant du regard le paysage aride qui s'offrait à lui « Le Bouclier !
Rejoins maintenant les montagnes éternelles de Bactriane et ramène au
Sanctuaire l'Armure qui t'est destinée ! ». Machinalement Seth s'avança à son
tour. Il regarda la Grande Prêtresse droit dans les yeux avant de montrer sa
statuette. Sa vision provoqua la stupeur chez Yolos et Graal qui se tenaient en
arrière.
« Le Phénix ! Rejoins maintenant L'île de la Reine Morte et ramène au
Sanctuaire l'Armure qui t'est destinée!
« L'île de la Reine Morte », pensa Mâa inquiet du sort de son compagnon et qui
s'abstint cette fois-ci de tout commentaire superflu. Il n'eut pas le temps de
se perdre en conjecture car, déjà, la Grande Prêtresse s'adressait aux éphèbes
d'Argent.
« Vous devrez suivre Yolos dans toutes ses recommandations. Il va compléter
votre formation et décider si vous êtes dignes de rejoindre vos lieux de quête.
Vous devrez pour ce faire remplir une mission de la plus haute importance ...
l'échec n'est pas envisageable. Lorsque vous serez prêts, vous connaîtrez à
votre tour les constellations qui vous ont choisis »
Le Sanctuaire pouvait espérer l'arrivée future de nouveaux Guerriers Sacrés.
Pour ces derniers, le destin avait brusquement basculé un soir d'automne, sans
qu'ils mesurent pour l'heure le chemin qu'ils empruntaient.
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[1] Divinité gauloise qui sera développée plus tard dans l’histoire.
[2] Clin d’œil au célèbre Cassios que les aficionados de la série
reconnaîtront.
[3] Partie centrale d’un temple grec.
[4] Private joke comme le disent nos amis anglo-saxons.